La technologie a fait un bond en matière de sécurité. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle montre, parmi les images filmées par des centaines de caméras, uniquement ce que vous devez voir. Face à cette évolution, il faut trouver un juste équilibre entre usage des nouvelles technologies, efficacité de la prévention et respect de la vie privée.
En route vers la « Safe-City »
D’un simple geste sur une tablette, il est possible d’ouvrir ou de fermer les bornes d’accès au centre-ville, de gérer l’entrée des bâtiments publics, de modifier les feux de circulation ou de modifier l’éclairage d’un quartier. Quant aux équipes de police et de secours, elles sont géolocalisées sur une carte pour diminuer le temps de réaction.
A Bruxelles, on parle de « super-caméras » et de « vidéo surveillance 2.0 ». Il y aurait actuellement 7.000 caméras en ville pour surveiller des zones ouvertes au public. Elles peuvent nous repérer grâce à la couleur de nos vêtements et nous suivre dans la rue grâce à un logiciel d’analyse d’images. Ou encore repérer les éventuels attroupements. A Amsterdam, des tests ont démontré qu’il est possible de distinguer des groupes calmes et des groupes agités.
Les caméras de surveillance constituent un phénomène paradoxal. D’un côté, cela peut procurer un sentiment de sécurité mais de l’autre, nous sommes continuellement filmés. Notre vie privée peut en être affectée.
Faut-il s’en inquiéter ?
L’usage de la vidéosurveillance, associé au big data et à l’intelligence artificielle, est-il suffisamment encadré ? Il semble exister un consensus sur le fait que ces nouveaux outils appellent à une vigilance « juridique, démocratique et citoyenne« .
En effet, l’implantation d’un nombre important de caméras ne va pas sans poser de questions puisque le traitement de données se fait à grande échelle et peut concerner des données sensibles (opinions philosophiques, religieuses, politiques, origine ethnique, etc), des infractions ou de la géolocalisation. On peut aussi aborder la question éthique dès lors qu’il s’agit de prédire des comportements par le biais du big data.
Il semble indéniable que l’usage de la vidéosurveillance peut se révéler utile dans certains lieux et qu’elle peut constituer un outil intéressant pour certains types de délits. Néanmoins, l’installation de caméras ne peut se révéler utile que si celle-ci poursuit des objectifs ciblés et évalués.
A lire : » La smart city appliquée à la sécurité appelle une vigilance juridique, démocratique et citoyenne « , Le Monde, 19 décembre 2018.
Nouvelle « loi caméras »
En Belgique, une nouvelle mouture de la loi cameras est entrée en vigueur le 25 mai 2018 simultanément aux Règlement Général européen sur la Protection des Données. Cette modification a pour objectif d’extraire les caméras « policières » du champ d’application et d’étendre la portée aux nouvelles caméras et nouvelles technologies telles que les drones.
La loi caméras du 21 mars 2007 réglait l’utilisation et l’installation de caméras de surveillance par tous (police, pouvoirs publics, administrations, entreprises, particuliers, etc). Depuis le 25 mai 2018, elle règle exclusivement l’utilisation non policière de caméras de surveillance. Néanmoins, les images des caméras de surveillance peuvent être transmises en temps réel à la police, dans le respect des règles en matière de sécurité privée, lorsqu’il se produit un fait qui peut nécessiter l’intervention de la police.
Ces nouvelles mesures peuvent impacter la vie quotidienne du citoyen.
En ce qui concerne les caméras de surveillance fixes utilisées sur la voie publique :
- les agents de gardiennage peuvent, conformément à la loi « sécurité privée » et sous le contrôle des services de police, pratiquer le visionnage en temps réel des images de caméras de surveillance installées dans des lieux ouverts (auparavant l’autorisation ne prévalait que pour les caméras filmant des lieux fermés accessibles au public),
- l’accès aux images est également permis aux services compétents pour la coordination des événements significatifs qui peuvent avoir un impact sur l’ordre public et la sécurité de la population, et pour suivre l’évolution des situations d’urgence.
Pour les lieux fermés ouverts au public (magasin, piscine publique, etc), une caméra de surveillance fixe doit être accompagnée d’un écran témoin diffusant publiquement les images pour renforcer son effet préventif (et sans oublier le placement d’un pictogramme d’avertissement).
Avec le nouveau texte, les caméras intelligentes font une entrée timide dans la loi. Elles sont autorisées si elles ne sont pas reliées à des bases de données à caractère personnel (par exemple les caméras qui détectent les sons ou les mouvements). Pour les caméras liées à une base de données à caractère personnel, seules celles permettant la reconnaissance des plaques d’immatriculations sont autorisées (à la condition que le fichier de données à caractère personnel soit traité conformément à la législation vie privée). Il n’est donc pas autorisé d’utiliser des caméras à reconnaissance faciale ou analysant les données biométriques afin d’identifier un individu.
Ce faisant, la loi autorise ainsi le contrôle par vidéosurveillance du respect de l’ensemble des règlements communaux. Cette utilisation qui était jusque-là exclusivement réservée aux forces de police est donc dorénavant disponible pour les services publics locaux (et leurs sous-traitants). Il s’agit notamment des caméras mobiles ANPR. L’utilisation de caméras intégrant des systèmes de reconnaissance de plaques doit se limiter (sous certaines conditions strictes) à prévenir, constater, déceler des incivilités (au sens de l’article 135 de la nouvelle loi communale) ainsi que les infractions relatives au stationnement (règlements-redevances pour stationnement payant).
L’usage de caméras de surveillance mobiles (caméras portatives, drones, bodycams, etc) n’est autorisé que dans un lieu fermé et dans des conditions strictes : par des agents de gardiennage (art. 142 de la loi sécurité privée), dans les lieux fermés, avec devoir d’information aux autorités et aux citoyens, etc. Et si cette caméra de surveillance est un drone, il faut également veiller à respecter l’arrêté royal du 10 avril 2016 relatif à l’utilisation des aéronefs télé pilotés dans l’espace aérien belge.
Enfin, depuis le 25 mai, la loi sur la fonction de police règle l’utilisation policière de caméras dans la cadre des missions de police administrative et judiciaire. Des mesures y sont insérées pour déterminer tant la procédure d’autorisation, que la manière dont les caméras peuvent être utilisées, l’utilisation et la conservation des données. La volonté est de disposer d’un texte général qui règle l’utilisation de tout type de caméras par les services de police.
Sources :
– Actualisation de la « loi caméra », quelles nouveautés ?, Elegis, 5 juin 2018
– Loi du 21 mars réglant l’installation et l’utilisation de caméras de surveillance (version coordonnée)
Coexistence avec le Règlement Général européen sur la Protection des Données
Puisque les images où figurent des individus identifiables sont des données à caractère personnel, la loi caméras et le RGPD doivent fréquemment être appliqués en parallèle.
Toute personne filmée a le droit de consulter les images. Pour exercer ce droit d’accès, il suffit d’en faire la demande motivée au responsable du traitement. La demande doit contenir suffisamment d’informations détaillées afin de pouvoir localiser précisément les images concernées.
Ce responsable du traitement est la même personne (physique ou morale) que celle visée par le RGPD. Par ailleurs, la loi caméras précise que le responsable du traitement dans un lieu ouvert ne peut être qu’une autorité publique. Cette personne sera la personne de contact pour la personne filmée et pour l’autorité de contrôle. Elle pourra être tenue responsable s’il y a violation de la loi.
Le nom du responsable du traitement, ainsi que ses coordonnées, doivent être mentionnés sur le pictogramme réglementaire annonçant aux personnes qu’elles sont filmées.
Enfin, le responsable du traitement doit tenir un registre pour les activités de traitement relevant de sa responsabilité. Ce registre doit être mis à la disposition de l’Autorité de protection des données, sur demande, afin de lui permettre d’effectuer sa mission de contrôle. Le contenu de ce registre a été déterminé par l’arrêté royal du 8 mai 2018 (plus d’information ici concernant la tenue du registre).
Cette matière reste donc sensible et le choix de faire entrer en vigueur ces modifications à la loi caméras en même temps que le RGPD n’est pas anodin. Il est donc important de veiller à respecter les obligations découlant du RGPD qui s’ajoutent celles de la loi caméras. Dans le même ordre d’idées, les amendes administratives mises en place par le RGPD seront certainement plus appliquées, et donc plus dissuasives, que les sanctions pénales de la loi caméras.
Il importe enfin de vérifier la régularité des caméras déjà en place, de s’interroger sur la nécessité d’effectuer une analyse d’impact et de désigner un délégué à la protection des données.
Si vous avez besoin de soutien dans l’application des règles relative à l’installation et l’utilisation de caméras, vous pouvez envoyer un mail à loicameras@ibz.fgov.be.